Situtué et fixé
Indroduction aux travaux boursiers
de Rudolf Bonvie
A la fin des années quatre-vingt-dix, à l’apogée des actions populaires, il arrivait que pendant les vernissages de jeunes artistes aussi bien que des artistes établis devisent de leur portefeuille d’actions. Le matin, après avoir jeté un rapide coup d’œil à l’évolution des cours, on prenait le chemin de l’atelier. Ce genre de mesures destinées à assurer le quotidien et à garantir les vieux jours a souffert plus tard, au moment de la chute des titres de la nouvelle économie et surtout après les événements du 11 septembre 2001, d’une énorme perte de confiance.
Cependant, la période de montée en flèche des actions des grandes entreprises, dont le nom et le champ d’activité nous échappent, la hausse et la baisse des actions Télécom, etc.. ont fait de chacun de nous un petit porteur imaginaire. Il y a encore quelques années, il était inimaginable qu’avant les « infos », au moment de plus grande écoute, on nous informât sur les cours de la Bourse. Inimaginable aussi aujourd’hui, grâce aux analystes des « conférences de presse semestrielles » d’ignorer à quelle entreprise on prédit un avenir rose ou sombre. Le boursicotage est devenu désormais une activité quotidienne s’appuyant – aujourd’hui tout comme autrefois – sur la raison et les connaissances, mais aussi sur la psychologie, la croyance et l’espoir.
Un an après l’effondrement du nouveau marché au printemps 2001, Rudolf Bonvie passe quelques jours à Carqueiranne, dans le sud de la France. Il lit tous les jours le journal local « Nice Matin » et suit dans ses pages économiques l’évolution des Bourses du monde entier.
Des graphiques composés de simples flèches permettent de comparer avec ceux
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de la veille les résultats obtenus à New York, Tokyo, Londres ou Francfort et de les qualifier de « positifs, négatifs, ou neutres ». Les pages économiques du journal offrent, en outre, un service supplémentaire en chargeant un rédacteur de résumer l’évolution de la journée boursière – et donc les mouvements financiers d’importance sur un plan mondial – par une formule unique et percutante.
En découvrant la formule du rédacteur, Rudolf Bonvie doit avoir détecté, comme dans un miroir, un parallèle avec son propre travail d’artiste. Dès le début des années 80 se glissent dans le travail de Bonvie des fragments linguistiques et des ambivalences verbalisées, en partie dans la photographie même, en partie dans les titres (Mercedogramm 86). La suppression ou la dissimulation d’une partie de l’image par collage ou retouche n’est nullement en contradiction avec une démarche d’approfondissement des contenus. Bonvie a, par exemple, suivi en 1986 un procédé similaire pour ses travaux « KSTA I-III »: pendant plus d’un an, il a collecté et reproduit articles et commentaries du « Kölner Stadtanzeiger » ayant un lien direct avec la catastrophe de Tschernobyl.
« Nicematin, 2001 », transformé par Bonvie en travail photographique, est lui aussi enrichi par les interventions pertinentes de l’artiste. Ce dernier évite toute allusion indicative, à savoir quelles flèches correspondent à quelle Bourse, ou encore quelle est l’importance des gains ou des pertes de certaines valeurs. Ne restent au bout de ce processus de compression que des mots dont la succession peut être lue en français comme un bref poème, une phrase musicale. Réunis dans un même sous-texte avec les flèches privées de signification, les formules « chaotique », « effritement », « envolée », « optimisme », « calme », etc… prennent alors un sens
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particulier.Si on suit les mondes d’images de Rudolf Bonvie à travers les ans, on peut attribuer à sa motivation une dimension politique ou morale. « Rhapsodie nucléaire, 1987-89 » est un discours esthétique sur le nucléaire civil. Avec « Bill Gates 1-3, 1999 », l’artiste stigmatise la monopolisation des droits mondiaux sur l’image. Rudolf Bonvie situe et fixe les phénomènes et événements qui perdent leur force de rayonnement dans une constante marche en avant dans le temps qui passe. Les masse - média comme les journaux et les périodiques sont là une source créative où il glane images et contenus.
Dans la série des « Images boursières », Rudolf Bonvie va puiser pour la première fois dans Internet. A l’aide des captures d’écran, il adapte des informations puisées dans l’immensité du réseau, il extrait et forme des images symboles d’une relation autant abstraite que pragmatique avec le capital économique. « Travail boursier 1, 2001 (1.2. – 28.2.01) » se présente, à première vue, comme une trame faite d’innombrables flèches : vert = positif, rouge = négatif, gris = neutre. Pendant des semaines, Bonvie « photographie » l’évolution de son propre portefeuille, de chaque action, de chaque indice relevé et en efface les informations afin de vider le tableau de tout contenu économique. Bonvie tire ses critères de sélection des journaux économiques spécialisés et de leurs sites respectifs sur Internet, ainsi que de deux online-broker et des pages financières du journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung ». Comme d’autres investisseurs, Bonvie cherche à avoir une image du marché la plus vaste possible.
Dans « Travail boursier 3, 2001 (20.02 – 7.03.01) », Bonvie choisit un autre mode de représentation, à savoir des rectangles de couleurs complémentaires rouges et verts sur fond jaune clair.
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