Celui-ci réalise qu’il s’agit d’un document d’exception et lui propose de le lui montrer tout en enregistrant ses premières réactions spontanées. La conjugaison des deux tournages forme alors le portrait de Moni K.
Le premier tournage la cadre en caméra portée, au coeur d’un univers kafkaïen, assis sur un lit de fortune, recouverte à moitié de vieilles couvertures dépareillées et d’un peignoir de bain bleu tâché. Elle porte le masque d’un visage ravagé par l’alcool, même si elle parle un allemand sans accent dans un langage châtié. On y pressent comme une tentative d’épuisement du langage dont le degré zéro dévoilerait les vérités et les faux-semblants. Le deuxième tournage, qui la filme se regardant à travers un écran d’ordinateur, consiste en un tableau au centre duquel se trouve un vieil escabeau en métal peint en blanc devant un mur en brique, mal maçonné, recouvert de ciment, avec sur le plus haute marche une balayette et une pelle en plastique bleu. Devant l’escabeau, dans la partie inférieure de l’image, un dossier de chaise, couvert d’une serviette à carreaux rouges et de vêtements marrons et bleus. Le bleu du vêtement rappelle celui de la pelle. Un certain désordre règne. Contrairement au néon utilisé lors du premier tournage, ici, la lumière du jour, provenant du côté droit, crée un bel éclairage. C’est comme une installation d’objets trouvés d’un mauvais artiste. Une pareille installation ne s’invente pas. L’image statique attire notre regard sur le visage extrêmement vivant de Moni K., dont la mimique exprime les émotions ressenties en visionnant pour la première fois cette cassette qu’elle avait toujours refusé de regarder.
Malgré son corps fatigué, Moni K. a du charisme : on peut encore deviner la beauté de ses 30 ou 40 ans.
La mise en abîme, initiée par le procédé de relecture par Moni K. du premier tournage, revêt une dimension curative car il représente, pour elle, l’opportunité d’une rationalisation, forme de catharsis opposée au questionnement obscur et entêtant face à l’énigme de sa dégradation physique et sa détresse morale, exprimé par le « Je ne sais pas » scandé de manière répétitive lors du premier film (« Ich weiss es nicht »). Du même coup, malgré l’incurie de son état, le dispositif cinématographique, à travers le regard qu’elle pose sur elle-même, nous la rend attachante et touchante. On a l’impression d’assister à une forme de réconciliation avec elle-même. Miracle du cinéma…